«Tu réponds aux textos de ton ex ? », « Pourquoi tu as liké sa photo ? », « Où vas-tu habillé(e) comme ça ? », « Où es-tu et avec qui ? Quand est-ce que tu rentres ? »… Personne ne peut s’enorgueillir de n’avoir jamais prononcé ce genre de propos, ou, du moins, de n’avoir jamais éprouvé des sentiments de jalousie. Légitime, puisque la jalousie est un sentiment humain commun, universel, qui s’il peut s’avérer inavouable chez certains d’entre nous, est malgré tout susceptible de concerner tout le monde. Même si nous ne demeurons pas tous jaloux, nous éprouvons ou avons déjà éprouvé de la jalousie. Elle peut prendre des formes multiples et toute relation, qu’elle soit amicale, fraternelle, familiale, professionnelle ou amoureuse peut voir naître ce sentiment particulier. La jalousie la plus fréquente concerne le couple, il s’agit de ce que l’on nomme communément la « jalousie amoureuse ». Au sujet de cette dernière, nous évoquerons son aspect « sain », mais aussi et surtout son aspect pathologique. Mais alors comment dépasser la jalousie ? Avant tout, il apparaît primordial de discuter d’une définition de ce terme, à la fois commun et difficile à définir.L’origine grecque du mot « jalousie », zélos, renvoie à la notion de « zèle ». Le jaloux est ainsi défini comme un sujet zélé. Lorsqu’il s’agit du versant amoureux de la jalousie, la définition du Larousse nous donne deux axes majeurs de réflexion et de compréhension : la jalousie correspond à un « vif attachement à quelque chose », c’est un « sentiment fondé sur le désir de posséder la personne aimée et sur la crainte de perdre au profit d'un rival ». Au XVIIème siècle, John Dryden évoquait à juste titre la jalousie comme étant « un tyran, mais un tyran de l’esprit ». Comme dans la définition précédente, deux éléments essentiels, centraux dans la définition de jalousie sont ici mis en exergue. Il s’agit de l’intensité de cette émotion, régie par la peur incompressible de perte et le désir de possession, et d’autre part, il est également question d’une vie interne animée de divers conflits intrapsychiques. Plus tard, au XIXème, Xavier Forneret écrit que « la jalousie voit tout, excepté ce qui est ». Cette citation nous aide à appréhender ce sentiment du point de vue de la personne qui l’éprouve en mettant en évidence ce que le sujet vit comme une réalité mais qui correspond davantage à une réalité tronquée, faussée.
La jalousie est-elle semblable à l’envie ? Si ces notions vont de pair, elles n’en demeurent pour autant pas semblables. Chez les chrétiens, cette notion d’« envie » est d’emblée connotée, puisqu’elle constitue l’un des sept péchés capitaux. L’envie correspond au désir provoqué par l’autre et par l’interaction qui s’établi entre l’autre et moi. La jalousie apparaît davantage dans et par l’imitation à autrui. Dans le sentiment jaloux, « je » n’existe pas en tant que tel, ce « je » est quasi confondu avec autrui, on n’existe pas en soi. Par imitation, nous sommes amenés à désirer le même objet que l’autre, donc, nous sommes placés dans une position de compétition, de rivalité. La jalousie pourrait, à ce titre, être considérée comme le versant souffrant de l’envie.
Mais il faut toutefois se rassurer, la jalousie est, dans la plupart des cas, un sentiment qu’il est normal d’éprouver. Freud disait même que « la jalousie appartient à ces états affectifs que l’on peut qualifier de normaux au même titre que le deuil ». La jalousie est en effet un sentiment foncièrement sain, normal, lorsque la personne est en mesure de la maîtriser, voire de la canaliser pour ne pas nuire à autrui et à soi-même. Lorsque la personne jalouse succède à cela, le sentiment jaloux peut s’avérer bénéfique, la personne cherchant alors à se dépasser, à offrir ce qu’elle a de meilleur. En ce sens, la jalousie, comme la plupart des sentiments, pose problème uniquement lorsqu’elle est exprimée de façon excessive ou inadaptée à la situation.
Que dit le courant psychanalytique de la jalousie ? Freud, père de ce mouvement, avançait l’idée qu’étudier la jalousie constituait l’un des moyens les plus efficaces d’accéder au psychisme humain. La jalousie serait un mode spécifique de lien à l’objet (l’objet en psychanalyse est considéré comme étant ce en quoi et par quoi la pulsion atteint son but, ici, il s’agit de l’objet d’amour). Pour Freud, la jalousie va de pair avec la notion de possession avec l’idée sous-jacente de perte. Il la compare au « travail douloureux du deuil » dans lequel se produit une « perte réelle ou supposé de l’aimé au profil d’un rival ». L’autre est alors pensé comme un bien que l’on peut posséder ou ne pas posséder. L’objet d’amour est quelque part pensé non plus comme un autre, mais comme un bien qui peut nous appartenir. Le jaloux, dans sa quête éperdue d’amour et de reconnaissance, possède, mais voudrait posséder exclusivement. André Gide résume parfaitement cette idée à travers cette citation « Je ne veux pas être aimé, je veux être préféré ».
Quels processus sont à l’œuvre dans la jalousie ? Il serait erroné de s’arrêter à considérer ce sentiment comme exclusivement importun, ou comme un assemblage de plusieurs autres émotions. La jalousie prend son origine dans des dynamiques intrapsychiques archaïques, c’est-à-dire puisant leur origine dans la prime-enfance de l’individu. La vie sentimentale du sujet serait façonnée par le type d’attachement primaire à l’objet d’amour initial, la Mère[1] et secondement le Père[2]. Le premier rapport à ce sentiment s’inscrit dans une visée de survie. Le bébé ressent la jalousie comme un réflexe de défense dans le lien à son objet primaire d’amour. Par la suite, un travail s’engage progressivement pour vivre ce sentiment de façon plus détachée, n’impliquant plus la survie. C’est donc ce moment de la vie archaïque du sujet qui va en partie façonner la vie amoureuse de l’adulte en devenir. Ce que l’environnement maternel n’a pu contenir va trouver un lieu de répétition dans la relation à autrui, et en particulier dans la relation amoureuse. Cette relation à un nouvel objet d’amour peut venir réactiver des éléments du passé, surtout les éléments douloureux. Si la jalousie puise très fréquemment son origine dans les vécus archaïques du sujet souffrant, le manque de confiance en soi et/ou d’estime de soi peut également faire naître des sentiments jaloux. Inversement, la jalousie peut générer la naissance ou le renforcement d’un manque d’estime de soi. La jalousie est alors vécue sur un mode insécuritaire, la confiance laissant alors place à la surveillance voire même à une agressivité. On parle communément de « jalousie maladive ». En effet, dans certains cas, la jalousie peut devenir pathologique. Le jaloux pathologique, excessif, en arrive parfois à se mettre hors de lui-même, à ne plus se reconnaître, il se retrouve confronté à des sentiments inconnus, extrêmes et angoissants. Ce mode d’expression de la jalousie peut plonger l’individu dans une détresse et parfois dans une solitude, en lien avec un isolement auto-généré, c’est-à-dire que l’individu se bride lui-même par peur de faire du mal à l’autre, soit par rejet de l’autre qui reçoit cette jalousie démesurée.
[1] « Mère » prend ici une majuscule puisque ce terme réfère à la fonction maternelle (qui peut être assurée par la mère, mais qui peut aussi l’être par une autre personne).
[2] Idem.
Comme nous venons de le voir, la jalousie peut refléter un type d’attachement particulier à la Mère, premier objet amour. Si le sujet arrive à poursuivre une vie normale, la jalousie exprimée peut correspondre à des points de répétition de souffrance qui tendent à être évacués. Cette souffrance est donc installée, quasi-encrée en l’individu, c’est pourquoi il peut être désagréable de vivre avec. Il est donc aisé de comprendre que certains individus souhaitent s’en décharger. Cependant, seul, il est difficile de faire ce travail. La psychothérapie ainsi que la psychanalyse peuvent aider à la décharge de ces affects et à l’assimilation de ces points de souffrance. Ce travail psychothérapeutique a pour but de mener l’individu à une meilleure connaissance de lui-même (chose qui pose problème dans la jalousie) en l’aidant à s’appréhender lui-même non plus comme un inconnu mais comme soi. Nous l’avons vu, dans la jalousie, la question de la rivalité est omniprésente « Suis-je mieux que cet autre ? » « Il faut que je sois la personne la plus belle, plus belle que lui/elle. », pouvant parfois mener à une profonde haine voire à une colère dirigée envers cet autre. En réalité, cette rivalité n’est autre que le reflet d’une projection inconsciente de notre sentiment d’insécurité. De fait, dans la jalousie, notre rival n’est autre que nous-même. La jalousie concerne surtout la personne qui l’éprouve. D’une façon plus large, lorsqu’il est question de jalousie, on aborde l’amour sous toutes ses formes, impliquant donc des transferts thérapeutiques intéressants dans le processus de déchargement, de dépassement de ce sentiment parfois handicapant.
Capucine Weinling