Est-ce que je suis HPI ? Ou suis-je plutôt obsessionnel ?
Pendant que les diagnostics classiques, notamment la névrose obsessionnelle et la névrose hystérique, sont de moins en moins utilisés par les psychiatres et les psychologues, nous assistons depuis plusieurs années à la création d’une infinité de nouveaux diagnostics : HPI, TDAH, TOC, TOP, hypersensibilité, etc.
Pourquoi inventer des nouveaux diagnostics alors que celui de la névrose est toujours d’actualité ? Peut-on parler de diagnostics « politiquement correct » ? En effet, vaut-il mieux être diagnostiqué Haut potentiel intellectuel (HPI) plutôt que névrosé, hystérique ou obsessionnel ?
Autrement dit, plutôt que de se reconnaitre comme névrosé, hystérique ou obsessionnel, est-ce plus valorisant socialement de se dire hyperactif, hypersensible ou encore de se demander : « est-ce que je suis HPI ? Suis-je haut potentiel intellectuel ? »
En effet, il semble évident que se reconnaitre comme plus intelligent, plus actif ou plus sensible est plus valorisant que de se penser névrosé, si bien qu’il est plus flatteur de se dire « je suis HPI », plutôt que d’affirmer être névrosé, obsessionnelou hystérique.
Cependant, contrairement aux représentations négatives qu’il peut charrier aujourd’hui, le terme de névrose ne renvoie pas à une pathologie qui serait à considérer comme une tare ou une défectuosité. Le terme de névrose renvoie à une structuration spécifique de l’esprit humain qui concerne la plupart des êtres humains. Autrement dit, la névrose n’est pas un défaut héréditaire : la plupart des êtres humains sont de structure psychique névrotique.
Alors, pour quelle raison de nombreux psychologues et psychiatres remplacent le terme de névrose par des diagnostics flatteurs ou « politiquement corrects » ?
Si l’hystérie pouvait être considérée depuis l’antiquité de manière péjorative ou déficitaire, la découverte par Freud de la névrose obsessionnelle a modifié complètement la conception de la pathologie. Et pour cause, si la plupart des êtres parlants sont névrosés, ni les psychiatres ni les psychologues ne peuvent s’exempter de reconnaitre leur propre névrose.
En d’autres termes et ceci est largement remarquable dans l’histoire de la psychiatrie, là où les psychiatres et les psychologues pouvaient se considérer comme plus « normaux », « savant » ou « supérieurs » à ceux qu’ils considéraient comme « malades », « déficients » ou « dégénérés », ces « professionnels de l’esprit humain » s’avèrent finalement tout aussi névrosés que ceux qu’ils pensent pouvoir soigner.
La reconnaissance de la névrose obsessionnelle au début du 20ème siècle s’est donc accompagnée d’une indication clinique majeure, à savoir la nécessité que les psychiatres et les psychologues puissent eux-mêmes faire leur propre psychanalyse s’ils veulent soigner leurs patients. La reconnaissance de la névrose et de sa prépondérance sociale conduit donc à modifier strictement la formation des soignants : pour soigner son semblable, il faut commencer par se soigner soi-même !
Cette articulation logique apparait évidente aujourd’hui, si bien que tous les psychanalystes dans le monde entier – qu’ils soient psychologues ou psychiatres de formation – commencent par faire leur propre psychanalyse avant de recevoir des patients. Et c’est pour cette raison également que le psychanalyste se doit également de continuer sa propre cure tout au long de sa pratique clinique.
Cependant, si un certain nombre de psychologues et de psychiatres respectent cette règle éthique fondamentale, certains refusent catégoriquement : « je suis normal », « je n’ai pas besoin », « je maitrise », « ce sont les autres qui ont des troubles psychiques, pas moi », ces paroles qui s’entendent sur les bancs de l’université mettent bien en évidence qu’un grand nombre de « professionnels de santé » ne veulent pas reconnaitre leur propre névrose.
Ceci n’est pas sans conséquences pour le diagnostic et le soin des patients : comment un psychologue ou un psychiatre peut-il reconnaitre la névroses de ses contemporains – et le traitement qui lui est approprié – s’il refuse lui-même de reconnaitre sa propre névrose et s’il refuse ainsi de se soigner ?
Nous voyons alors que la reconnaissance par le soignant de sa propre névrose est indissociable de sa possibilité de soigner et de diagnostiquer celle des autres. Nous ne serons donc pas étonnés qu’à ce jour, seuls les psychologues et psychiatres qui reconnaissent leur propre structure névrotique réussissent à diagnostiquer la névrose de leurs pairs pendant que les « professionnels de santé » qui évitent de se soigner eux-mêmes adhèrent à des nominations diagnostics fallacieuses : « Haut potentiel intellectuel, HPI », « hypersensible », « perfectionniste », etc., il n’est donc pas étonnant que les « soignants » qui entretiennent ces nominations flatteuses se reconnaissent eux-mêmes comme « trop sensible » ou « trop intelligent ».
« Est-ce que je suis HPI ? Ou suis-je plutôt obsessionnel ? »
Cette question importante que nous pouvons entendre chez certain patient met surtout en évidence une problématique professionnelle qui concerne autant le champ de la psychologie que celui de la psychiatrie. Ceci ne veut pas dire pour autant que ces diagnostics « politiquement corrects » ne contiennent pas une part de vérité mais plutôt qu’ils désignent le plus souvent un ou quelques symptômes isolés de la névrose obsessionnelle ou d’une autre structure psychique. Par exemple, l’hypersensibilité, la susceptibilité, le surinvestissement de la pensée, les ruminations ou encore le perfectionnisme sont des symptômes depuis longtemps reconnus comme faisant partie du tableau clinique de la névrose obsessionnelle