Quand chez une personne dite lambda une toux annonce une rhino-pharyngite ou une angine, chez certaines personnes, c’est le signe d’une embolie pulmonaire. Un mal de tête va s’expliquer par de la fatigue, un temps trop long passé derrière un écran, chez d’autres, c’est le début d’un AVC, ou la manifestation d’une tumeur cérébrale. Vous l’aurez sans doute compris, ces personnes sont ce que l’on nomme dans le langage courant des hypocondriaques. Un gros mot pour une pathologie finalement courante, puisqu’environ 10% des consultations de médecine générale relèveraient de troubles hypocondriaques. Molière, dès la fin du XVIIème siècle, donnait déjà dans sa pièce Le malade imaginaire une définition de l’hypocondrie, du point de vue du malade qui décrit sa souffrance. De façon plus récente, le personnage de Harvey dans la série Scrubs met bien en exergue la personnalité hypocondriaque. Dany Boon a également mis cette psychopathologie à l’honneur dans son film « Supercondriaque » sorti en France en 2014. « Hypocondrie » vient du grec « hypocondrion » (« hypocondres » en français) : à l’époque, on supposait que la cause de l'hypocondrie dépendait des viscères logés dans les hypocondres. Hippocrate a décrit cette zone anatomique comme située derrière les cotes, en insistant sur le côté inaccessible de cette partie du corps, le médecin ne pouvant alors voir l’état de santé de cette dernière. Les prémices de cette définition introduisent d’ores et déjà la notion d’invisibilité objective, exprimant pour autant une souffrance réelle et subjective.
Le Larousse définit l’hypocondrie comme une « inquiétude permanente concernant la santé, l’état et le fonctionnement de ses organes, provoquée par un trouble psychique bénin ou grave ». Dans l’hypocondrie, les maux supposés sont en effet souvent localisés sur les organes vitaux (poumons, cerveau, cœur, foie…). Le Littré ajoute la notion de croyance à sa définition : c’est une « maladie qui fait croire à ceux qui en sont atteints qu’ils sont attaqués des maladies les plus diverses. » S’ajoute à cette notion, l’idée de souffrance : « Ces patients sont plongés dans une tristesse habituelle, ce qui renvoie à un éventuel trouble de l’humeur ». Globalement, être hypocondriaque, c'est se croire en permanence malade alors que l'on est objectivement en bonne (voire en très bonne) santé. Cela consiste à se croire malade soit à partir de l’aggravation de symptômes tout à fait bénins (mal de ventre léger, crampe…), soit à partir d’une invention de symptômes alloués à une pathologie grave. Cette psychopathologie est aujourd’hui renforcée, solidifiée par la multiplicité des sites Internet dits « médicaux » de type Doctissimo et autres forums.
La cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) classe l’hypocondrie dans la catégorie des « troubles de symptôme somatique et troubles connexes », alors que l’édition précédente la rangeait du côté des « troubles somatoformes ». Cette révision permet d’intégrer la présence de symptômes évocateurs d’une maladie physique ne pouvant être expliquée par une affection médicale, par des effets indésirables d’une substance ou d’un traitement médicamenteux, non plus par une blessure ou un autre trouble mental. Les symptômes engendrent alors de grandes perturbations dans le fonctionnement quotidien de l’individu. L’hypocondrie est une psychopathologie de nature anxieuse, qui dans l’expression de ses symptômes peut se rapprocher du trouble obsessionnel compulsif (TOC).
Nous préférons parler de névrose obsessionnelle pour bien mettre en évidence la richesse de cette structure psychique que Freud a pu magistralement repérer et qui est plus que jamais d’actualité.
Pour diagnostiquer l’hypocondrie, les spécialistes doivent être confrontés aux thématiques des obsessions (la crainte de la maladie) et/ou des compulsions (recherche soutenue de réassurance). Ces préoccupations doivent durer depuis au moins six mois consécutifs. Il s’agit d’un trouble anxieux focalisé sur la maladie, où les symptômes mettent la personne en grande souffrance, mais médicalement, ces symptômes ne sont pas observables. Cependant, à force de penser constamment que l’on est malade ou qu’on va le devenir, l’expression psychique du symptôme (la pensée obsessionnelle) peut se transformer en expression corporelle du symptôme (symptôme corporel). Certains parlent alors de « maladie fantôme » pour parler de cette forme de régression qui consiste dans le passage du symptôme psychique au symptôme corporel. Pour Fernando de Amorim, cette transformation régressive du conflit intra psychique est le résultat de l’aliénation du moi : à force d’ignorer le symptôme psychique (obsession, doute, rumination…), le symptôme se transforme en symptôme corporel. Nous notons ici l’importance de la rencontre avec un psychanalyste dès l’apparition des symptômes psychiques.
Existe-t-il une distinction entre l’hypocondrie et la nosophobie ? La nosophobie, comme son nom l’indique, appartient à la grande famille des phobies. Il est question non pas d’illusionner une maladie grave, mais plutôt de développer une peur irrationnelle de contracter une maladie. La nosophobie est souvent accompagnée d’une peur intense des bactéries, du contact physique (direct ou indirect) avec le monde extérieur (les autres, surtout lorsqu’ils sont porteurs d’une maladie contagieuse, les transports en commun, les toilettes publiques…). Pareillement que dans l’hypocondrie, la nosophobie peut être accompagnée de TOC visant à des lavages répétitifs pour éradiquer les éventuelles proliférations de bactéries ou de virus, entre autres. Le nosophobe sait qu’il est en bonne santé, mais vit dans la peur de perdre cette dernière. Le monde du nosophobe lui apparaît hostile et dangereux.
Ainsi la différence entre la nosophobie et l’hypocondrie réside essentiellement dans le degré de conviction, entre la croyance et la certitude, qui est liée à la représentation idéelle. Cette différenciation intéressera surtout le psychanalyste dans l’établissement du diagnostic différentiel afin qu’il puisse assurer au mieux la direction de la cure.
Quel(s) traitement(s) sont les plus propice(s) à mener à la guérison ? L'hypocondrie n'est pas une fatalité. On estime qu’environ un tiers des patients hypochondriaques en demande d’aide guérissent. Même si le chemin à parcourir est souvent long, sinueux et douloureux, il est tout à fait possible d’en guérir. Ces psychopathologies expriment des angoisses très intenses positionnant l’individu dans un rapport particulièrement compliqué à l’existence.
De plus, c’est sur le terrain de la transformation des symptômes psychiques en symptômes corporels que se manifeste le conflit psychique : sur le plan de la psyché, l’individu n’est pas en mesure de régler le problème seul, alors le corps prend le relais. Même si le symptôme s’exprime par le corps, il est bien question d’une psychopathologie. Si les méthodes de relaxation, de méditation peuvent contribuer à la diminution du niveau de tension de façon ponctuelle, tout comme le sport (qui permet de se détacher de ses préoccupations imaginaires et de reprendre peu à peu confiance en son corps), la psychanalyse et la psychothérapie avec un psychanalyste s’avèrent être les méthodes les plus propices à une guérison efficace et durable. En psychanalyse, la nosophobie et l’hypocondrie sont des symptômes qui se traitent par le biais de la libre association, permettant d’accéder à la source du conflit intrapsychique. À terme, cette méthode peut permettre l’abaissement durable et la disparition des symptômes.
Capucine Weinling